Interview avec Monsieur Christophe Chaillot
Mr Christophe Chaillot, Attaché de coopération éducative et Directeur des cours de langue au Service de Coopération et d'Action Culturelles de l'Ambassade de France (SCAC), avoue à notre collaboratrice, madame Graziella Bassil, que le CRDP est un partenaire privilégié. Monsieur Chaillot est optimiste quant à l’avenir de la Francophonie au liban!
Le CRDP, un partenaire privilégié
Q: Sur quels projets travaillez-vous avec le CRDP?
R: Le SCAC de l'Ambassade de France travaille avec le ministère de l'Education et notamment avec le CRDP; c'est réellement un de ses partenaires privilégiés. Le service dont je m'occupe à l'Ambassade de France est le service de coopération linguistique et éducative et notre mission, avec toute mon équipe, est de renforcer la francophonie scolaire et universitaire. On connaît l'importance de la francophonie au Liban et on sait qu'elle repose sur le système éducatif. Ce qu'on peut faire avec le CRDP c'est donc faire en sorte que la qualité de l'enseignement en français soit la meilleure possible, se renforce, s'accentue, devienne réellement excellente.
Q: Que faites-vous avec le CRDP pour renforcer la francophonie?
R: On intervient sur trois plans:
- Le plan linguistique;
- Le plan pédagogique;
- Un environnement francophone.
1-Sur le plan linguistique:
Un renforcement linguistique des professeurs de français et des disciplines non linguistiques (DNL) enseignées en français pour un enseignement de qualité.
De l'évaluation à la certification
Suite à la demande du ministère de l'Education Nationale, nous avons évalué, en l'an 2007, des enseignants de français et de sciences en français. C'était une enquête très importante puisque plus de 3000 professeurs ont passé un test de positionnement linguistique. Le niveau s'est avéré globalement insuffisant et nécessite vraiment une amélioration pour la majorité des enseignants de français et de DNL en français au Liban. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place des programmes de certification linguistique, des formations pour les enseignants de et en français qui débouchent sur la passation du Delf et du Dalf. Donc, depuis 2007, nous avons formé plus de 500 professeurs. Cette année, et suite à la demande de Mme la Présidente Leila Fayad, nous continuons à travailler avec un très bon projet, celui du renforcement et de la certification linguistique de 223 enseignants du cycle 1 qui mettront en place les nouveaux programmes à partir de la rentrée 2011-2012.
Nous allons donc former 223 enseignants, à partir du mois de septembre, en langue française.
Ce qui est intéressant avec ces formations, c'est qu'elles débouchent sur un iplôme officiel, internationalement reconnu, le Delf ou le Dalf. C'est donc une vraie valeur ajoutée aux enseignants de et en français. Ce qui est intéressant aussi dans ces formations, c'est qu'on met en place la méthodologie qu'on appelle "la perspective actionnelle", une méthodologie moderne qui est née des travaux du Conseil Européen, notamment du Cadre Européen Commun de Référence (CECR) qui est un outil de référence dans le domaine linguistique et ça permet de mettre en place cette méthodologie. Donc ces professeurs, à la fois, renforcent leurs competences linguistiques mais aussi travaillent avec une méthodologie récente et intéressante qu'ils peuvent éventuellement, et avec l'appui du CRDP, mettre en place ensuite.
C'est vraiment un très beau projet de partenariat: il a été monté et il est suivi par le CRDP qu'on est très heureux d'appuyer. C'est le CRDP qui va s'occuper du détachement des professeurs et de la possibilité pour eux de suivre la formation le matin, d'effectuer le suivi ainsi que l'organisation des formations. Quant à nous, nous allons animer les stages, toujours en binômes: à chaque fois, un formateur de la Mission culturelle française au Liban et un formateur du CRDP.
On est donc très content de ce partenariat et très heureux de continuer à proposer ces programmes de certification linguistique parce que c'est très important que les enseignants de et en français se sentent très à l'aise dans cette langue pour avoir un enseignement de qualité.
2-Sur le plan pédagogique:
Une fois de plus en partenariat très étroit avec le CRDP, nous proposons chaque année une centaine de formations, dans le domaine du français, des sciences et des mathématiques, qui permettent d'avoir un renouvellement pédagogique et de découvrir les techniques les plus modernes d'enseignement. Donc là, et toujours en binômes et en partenariat avec le CRDP, on intervient dans plusieurs domaines comme la didactique convergente français / arabe, le français au préscolaire, les utilisations du Cadre Européen Commun de Référence, les sciences en français à travers la démarche expérimentale comme également l'appui aux écoles à projet d'établissement… toute une série de formations qui nous permettent de renforcer la qualité pédagogique des professeurs de et en français. Pour mettre ceci en place, notre plan de formation est conjoint avec celui du CRDP. Par exemple à Saida, nous avons des formations dans le plan de formation du CRDP et des formateurs du CRDP se joignent à nous pour certaines des formations qu'on anime: c'est vraiment très intéressant, ça nous permet d'intervenir auprès du secteur public pour lequel on travaille beaucoup, et parallèlement et également, en dehors du CRDP, avec les bureaux pédagogiques privés; ce qui fait des échanges et des partages d'expérience très intéressants.
3- L'environnement francophone:
On s'est rendu compte, et notamment à travers le test de français pour les professeurs, que contrairement à ce qu'on pensait, les jeunes professeurs ont généralement un meilleur niveau en français que les plus âgés. On a souvent une image d'une francophonie un peu vieillissante, qu'on parlait mieux français avant, ce n'est pas le cas. Il y a une jeunesse qui est bonne francophone, mais on se rend compte que plus on avance dans l'âge, peut-être, plus on perd le contact avec la langue française. La francophonie reste présente, mais c'est vrai qu'elle l'est un peu moins dans la publicité, dans l'environnement culturel, etc… On travaille donc avec les Centres culturels français, avec le Ministère et avec le CRDP, pour proposer des activités extrascolaires en langue française, et pour les élèves et pour les enseignants. Par exemple un festival du théâtre en français, comme le Festival du Théâtre des jeunes de Zahlé, un festival du conte, comme le Festival du Conte du théâtre Monot. On organise aussi un rallye Mathématiques, des concours à l'occasion du mois de la francophonie, beaucoup d'activités au mois de mars au moment de la Francophonie en partenariat avec le ministère de la Culture, le ministère de l'Education et le CRDP. On organise aussi des séminaires, des conférences, des cafés pédagogiques, des cafés littéraires… Bref, toute une série d'activités destinées à ouvrir le monde éducatif à un environnement francophone, à travailler avec un français en action et contrairement à la grammaire morphosyntaxique, un français de communication.
Par conséquent, les enseignants sont débloqués et s'ouvrent vers la France à travers la télévision, les magazines. Ainsi, le français qui semblait inaccessible est rendu accessible et les enseignants se sentent plus à l'aise et confiants avec cette langue.
Q: Comment pouvez-vous vous assurer de l'efficacité et du bon fonctionnement de tous ces projets sur le terrain?
R: Nous avons, d'une part, un système de suivi sur le terrain et, d'autre part, les formations pédagogiques qui nous mettent en contact avec les enseignants ou les formateurs concernés. Par ailleurs, et parallèlement aux formations qu'on effectue, nous sommes en train de réaliser un film sur le "terrain" libanais qui nous permettra une analyse des pratiques. De plus, nous pensons créer un site sur internet "Le français en action" qui permettra aux professeurs et formateurs d'utiliser les ressources du web, qui leur est nécessaire, et également un partage d'expérience constructif.
Q: Vous avez dit que vos objectifs pédagogiques rejoignent ceux du CRDP. Pensez-vous effectuer une coordination sur le plan des formations?
R: Cette coordination existe déjà dans les régions à travers les responsables des centres de ressources: A Saida, Mme Daad Maamari, à Nabatieh, Mme Badria Al Rifaï et à Tripoli, Mme Mounifa Assaf. Il ne nous reste plus que la capitale Beyrouth ! Nous avons deux projets en gestation: une analyse de besoins et une analyse des examens, communes. Et pour plus tard, nous souhaitons travailler ensemble sur les programmes.
L’avenir de la francophonie au Liban:
Q: Face à la montée objective d'autres langues, quelle est votre vision de la francophonie?
R: On parle beaucoup de la montée d'autres langues et précisément de l'anglais. C'est tout à fait exact, mais contrairement à ce qu'on peut penser parfois, ça ne s'accompagne pas d'un retrait du français; non, ça s'accompagne d'un trilinguisme. C'est parce que sur les 900.000 élèves du système éducatif libanais, il y en a 600.000 qui sont dans des écoles bilingues francophones, que la francophonie se porte bien et elle se porte bien dans un contexte de trilinguisme.
"Le Liban est d'ailleurs un modèle à suivre pour
Les autres pays dans son trilinguisme,
plurilinguisme et le pluriculturel ."
Dans le monde actuel, le plurilinguisme devient très important et le Liban est un modèle à suivre. La France n'a donc pas de leçon à donner dans ce domaine, elle en a, au contraire, beaucoup à apprendre du Liban par exemple. Par contre, c'est important et on le sait, il y a quelques écoles qui se tournent vers l'anglais ce qui était moins le cas auparavant. Il faut donc avoir conscience de cette situation, avoir conscience de la force de la francophonie scolaire, mais aussi qu'il faut la renforcer pour la maintenir et la développer, car c'est très important dans la perspective du trilinguisme.
"French is a must ! ! !"
Par ailleurs, sur le marché et dans les offers d'emploi, à côté de l'anglais, le français reste une nécessité voire une obligation: "french is a must".
Le pacte linguistique
D'autre part, et suite au XIIe Sommet de la Francophonie, à Québec en octobre 2008, le president de la République Libanaise, le Général Michel Sleiman a pris à sa charge la signature du "pacte linguistique": un engagement avec l'OIF qui consiste à renforcer la place de la langue française dans les systèmes éducatifs tout en développant un enseignement public et privé de qualité et à prendre des mesures adaptées à nos moyens, pour valoriser le statut et l’usage de la langue française, langue vivante et utile, dans les domains économique, social, culturel, touristique et scientifique. Et depuis, plusieurs projets, en faveur de la francophonie, sont en gestation: la création d'un observatoire de la langue française au Liban, la formation des guides touristiques…
Le Liban signera alors le premier pacte en octobre 2010.
Pour finir, il ne faut pas oublier que le français fait partie de l'identité libanaise et que les Libanais sont de vrais promoteurs de la langue française. A titre d'exemple, au Koweit, 50 % des francophones sont des Libanais.
Tout ceci pour dire qu'il y a de quoi rester optimiste ■